>> ADAGE DEMESURE
texte d’Alexandre Costanzo
Dans une première version d’Adage démesuré, l’interprète masculin avait une partition vocale, fondée sur des textes écrits par le philosophe Alexandre Costanzo pour la pièce.
Orphée / Eurydice
Je joue à jeter ma main au loin / le plus loin possible, / de plus en plus loin.
Et voilà, je l’ai perdue. Il faut la retrouver.
Retrouver une main dans l’espace…
Une main, ou quelque chose d’autre, je ne sais pas, / quelque chose qui somnole ou qui fuit, / une manière de vie, une lumière, un murmure à peine audible, sourd / ou plutôt, le pressentiment d’un espace, / d’un corps,
d’une voix, d’une mauvaise herbe / Et tout cela à la fois…
Il y a quelque chose comme un “œil” trébuchant sur une “oreille”, /
et qui te pousse dans le dos… / Qui cherche à se faire, / à se faire
ou à trouver un corps improbable, / errant dans un terrain vague, /
dans le flottement d’un malentendu
Une main / une oreille / des membres / un œil / se donnent rendez-vous / C’est comme le rêve d’une sorte de pierre
Solo
I.
Ce qu’il a dit après, je n’aurai pas pu le deviner. / Il a dit quelque chose comme ça… / Et je m’étonne toujours, / Et il y avait cette impression
du mouvement comme une inertie, une trace, quelque chose comme ça.
J’aime… / et tout d’un coup je ne comprends plus. / Je suis là, je me lève, /
Je repars, je suis différent, / Je vais là,
Epuisé, épuisé, / J’aimerais que tout s’arrête
II.
Ce m’est pourtant la moindre chose, de voir qu’à l’un il manque un œil,
à tel autre une oreille et au troisième une jambe, et que d’aucuns
perdirent la langue ou le nez ou la tête. Et de telles horreurs, de l’une d’entre elle, je veux dire : de ces hommes à qui tout manque, sauf qu’une chose
ont en excès – de ces hommes qui rien ne sont qu’un grand œil
ou une grande gueule ou un grand ventre, ou n’importe quoi de grand,
ceux là, des estropiés à rebours…
Et alors, je n’en cru pas mes yeux, je regardai et je regardai de nouveau,
et finalement je dis : “Voilà une oreille ! Une oreille aussi grande
qu’un homme !” Je regardai mieux, et sous l’oreille remuait encore, en fait, chose pitoyablement petite et souffreteuse et débile.
Et cette immense oreille tenait sur une petite et frêle tige, mais cette tige
était un homme. Et on pouvait même reconnaître encore un visage minuscule et envieux, et qu’à la tige pendait aussi une âme minuscule et boursouflée…
Un estropié à rebours qui de tout a trop peu et d’une seule chose à trop.
Des fragments, des morceaux, de cruels hasards,
Sacha
Deux semaines, deux semaines de, deux semaines…
Deux semaines de bon vieux in and out...
(Premier couplet)
Deux longues jambes et un sourire / Il était trop tard, beaucoup trop tard / Deux semaines, deux semaines à se… / Sa sueur, ses seins, ma fatigue
et mes in out / Se renverse sur l’herbe couchée marquée de l’empreinte /
Et se désenlace, l’attire en étreignant avec son autre bras les reins /
SA CHA… SACHA... TE VOILA SACHA
(refrain)
Sacha / Elle s’appelle Sacha / Il s’appelle Sacha / Sacha était son nom
(Second couplet)
Entre ses jambes et un soupir et un sourire / Mes mains crispées, mon corps, ses jambes, ses bras / Et je m’arrête / Viens viens et mes mains / Respirant, bras au dos, les yeux vagues et ses genoux épuisés /
SA CHA… SACHA... TE VOILA SACHA
(Troisième couplet)
Elle et il ne nait pas / Elle ne nait pas / Il ne nait pas / Où es-tu Sacha………. n’existe pas / Où as-tu mis tes yeux, ta voix / Où as-tu mis ta voix /
Je n’entends pas / pas de Sacha
La ligne
Ils se cherchent et se trouvent et se perdent, cette couleur égarée /
se renverse, sur l’herbe couché, marqué de l’empreinte / de son bras écarté, enroulé, dédoublé, redoublé, brouillé, parcelle adossé / et contracte / attouchant l’herbes ses joues / ses bras / cet œil / cette oreille / ce ventre / entrelace les doigts de ses deux mains à celle désaccordée.
La sueur, à ses talons, respirant, bras au dos, les yeux vagues et ses genoux épuisés / y pousse le pollen et la sève de l’herbe empoisse ses poumons, accoté au tronc, fleur, pierre éclatée, brin, bourgeons tapissés, adossé à l’arbre… se rencontre et se manque à la fois… en fermant ses cils jumelés
Ils se cherchent quelque chose, se rencontrent et se manquent à la fois,
et repartent, ensemble-esseulé.
Un filet de sueur perle / le long de l’attache / de la cuisse / et pétille /
contre sa joue d’herbe /
Et creuse son ventre, son torse étroit, détend les muscles, ouverte
avec ses deux mains / incline le haut de son corps sur le dos et laisse couler de ses lèvres sur l’oreille la crispation des nerfs, / tourne la tête, / les pieds nus enfoncés, / revient et recueille, / ses doigt dans les yeux touche l’amas d’insectes désespérés et jumelle,
L’haleine souffle la poussière, et du pied se recourbe, enduit de vert-de-gris, essoufflé,
Et se désenlace du corps des jumeaux, l’attire en étreignant avec son autre bras, les reins,
Un cri jaillit de sa poitrine pressée, et foule l’herbe aux pieds
Ils se cherchent quelque chose, et se trouvent et se perdent cette couleur égarée
Alexandre Costanzo, 2007