Valeria Apicella

Adage démesuré

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Au commencement, il y des corps qui rêvent, qui s’étirent, encore soumis aux pesanteurs bienheureuses du sommeil. Les membres se déploient lentement comme les pattes d’un insecte au sortir de sa chrysalide, frémissent sous la tension encore infime de leur influx musculaire. Le corps se réveille, ou plutôt s’éveille, laissant anticiper un envol futur…

C’est de ces mouvements premiers — ces prémisses de mouvements — que naît la danse. Elle éclôt, achève en accéléré sa métamorphose végétale : de la graine à la jeune pousse, du bourgeon à la feuille. Au sol, un carré de gazon, dans l’air, les odeurs organiques de l’humus mêlées au parfum entêtant des fleurs confirment cette présence de la nature. Cette vie primitive.

Ils sont trois : un homme, deux femmes. Si leur rencontre est écrite selon les règles de l’art d’une partition chorégraphique, elle se construit progressivement à leurs contacts respectifs, un geste en réponse à un autre, une jambe venant au secours d’un bras défaillant ou compensant un déséquilibre. Ainsi, les corps se repoussent du sol par une pirouette, se complètent et s’interfèrent ; les contours des danseurs se confondent puis se dédoublent. Les voilà siamois, anatomie hybrides et improbables, à l’origine d’une esthétique du monstre (en cela que leur union échappe aux normes, étend les possibilités du corps, dépasse sa solitude première.)

Rien d’étonnant quand on sait que la chorégraphe — et interprète — Valeria Apicella a été formée au Contact Improvisation, pratique héritée de la danse postmoderne des années 1970, dans laquelle les points de contact physique sont à l'origine d'une exploration des mouvements et d’un jeu avec les forces de gravité. Alliée à une virtuosité technique acquise dans les rangs de la compagnie Paco Decina, sa danse, fluide, précise, moelleuse, hésite entre conversations et séparations, tendresse et indifférences, partage et construction de soi dans la solitude.

La question du lien, d’ailleurs, trouve son alter ego plastique dans cette surface verte, d’abord tapis de sol et duvet caressant, puis paravent découpant l’espace, dissimulant les corps au public ou à eux-mêmes. Récurrent, l’objet est interface, point de rupture et de rencontre entre deux milieux. Valve. « Le monde et moi sommes l'un dans l'autre » nous souffle Merleau-Ponty à travers la danse de Valeria Apicella…

Et ainsi, à mesure que le temps passe, on se laisse hypnotiser par ses liaisons et déliaisons qui gagnent en intensité et en énergie — en verticalité—, allant jusqu’à s’accorder des instants frénétiques où le cri rejoint la danse. Là encore, il est tentant de filer la métaphore végétale, de voir en ces jaillissements l’allégorie de la croissance des plantes, qui, comme ces corps héliotropes, sont attirés vers la lumière, mus par sa force vitale. Tellement…qu’ils en viennent à disparaître, silhouette noyée dans le contre-jour, sculpture vivante baignée de soleil.

S’agit-il d’une aurore ou d’un crépuscule ?

Dans ce monde sensible, de perceptions et d’interpénétrations, la virtuosité de la danse ne nuit pas à l’émotion ressentie, n’écrase pas le propos de sa toute puissance (et c’est rare). Au contraire, elle en souligne — en sublime ?— délicatement l’expression.


Céline Piettre

www.paris-art.com, février 2008




« Valeria Apicella surprend par une pièce qui prend la pleine mesure du mouvement et de la relation à deux. »

Ces deux femmes sont troublantes. Noriko et Valeria, danseuses remarquables et remarquées notamment chez Paco Dècina, trouvent un second élan avec cette pièce : un élan d’une douceur et d’une intensité très mesurées, prenant une place délimitée dans un carré de verdure synthétique. Dans leurs robes tubulaires, elles installent un mouvement lent, contrôlé, presque apaisant. Déployant leurs corps, jaugeant en silence le parcours d’une jambe ou d’un bras savamment placés, elles jouent de leur féminité, de leur sensualité, de leur gémellité parfois. Mais ce miroir féminin se heurte à la présence masculine incarnée ici par Serge Ricci. Même si le contact est doux, son rôle interroge ici le propos de la pièce, quitte même à le déranger.

N. Yokel, La Terrasse, mai 2008

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